Pénurie de conducteurs routiers : quelles solutions ?

Transporteur

par Clémence Levieil, le 1/3/2024

8 min de lecture

Plus de 50 000 postes sont à pourvoir sur le territoire national et la moyenne d’âge des conducteurs avoisinant 50 ans, ce chiffre va très vite être revu à la hausse… Comment faire pour attirer de nouvelles recrues et les fidéliser ? Quels atouts et évolutions peuvent encore offrir ce métier ? Quel rôle le gouvernement et la réglementation peuvent-ils jouer ?

Constat sur la situation dans le secteur du transport routier

Présentation des intervenants 

Plusieurs intervenants, experts dans leur domaine et bénéficiant d’un point de vue singulier sur la thématique, ont tenu à apporter leur pierre à l’édifice lors du webinaire de Dashdoc “Pénurie de conducteurs : quelles solutions ?”. Voici la liste : 

  • Clément Faure, responsable marketing de Truckfly by Michelin

  • Julien Parnis, directeur de réseau chez RAS Intérim

  • Martin Arnouil, coordinateur de Geiq Transport AERA (Avenir Emploi en Rhône Alpes)

  • Pierre-Arnaud Destremau, confondateur de Truckrs.

Quelques explications sur le contexte du manque de conducteurs routiers

D’après les derniers chiffres du rapport 2022 de l’OPTL, 75 % des effectifs du TRM (transport routier de marchandises) sont des conducteurs routiers, soit un total de 313 453 personnes. Tous postes confondus, le nombre d’employés du TRM aurait même augmenté de 4,7% en une  année.

Ainsi, est-il justifié de parler de “pénurie” quand il s’agit du recrutement des conducteurs routiers en France et en Europe ? 

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Le saviez-vous ?

Si plus de 50 000 postes sont vacants pour des chauffeurs routiers en France, plus de 400 000 le sont à l’échelle européenne. Les spécialistes prévoient même 2 millions de postes à pourvoir d’ici 2026. 

Cela peut paraître effrayant tant l’année 2026 est proche ! C’est pourtant une réalité, les conducteurs routiers manquent à l’appel en France et en Europe. Mais pour quelles raisons ce poste semble-t-il si délaissé ?

  • Le salaire trop bas : c’est un des critères qui est le plus souvent remis en cause lorsque l’on parle du métier de conducteur routier. Le salaire des chauffeurs n’est plus aussi valorisant qu’il y a quelques années. Si l’on prend en compte les conditions de travail ardues (horaires décalés, métier physique, notamment avec les temps de chargement et déchargement, grand niveau de responsabilité et de sécurité demandés…) cela est difficile à allier avec sa vie personnelle ou familiale ;

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Un conducteur de transport routier gagne en moyenne entre 1600 et 3000 euros brut par mois en tant que salarié et peut dépasser 4000 euros brut par mois à son compte.

  • Le manque d’attractivité du métier : ces dernières années, les métiers du transport en général et celui de chauffeur routier en particulier souffrent d’une image ternie. Les camions sont souvent la cible de reproches : ils font du bruit, bloquent la circulation des centres villes, contribuent à la pollution… La nouvelle génération vise des secteurs en accord avec de nouvelles valeurs sociétales et environnementales ;

  • La difficile transition entre les générations : la moyenne d’âge des chauffeurs routiers est actuellement de 51 ans, ce qui signifie que beaucoup partiront bientôt à la retraite et laisseront le champ, ou plutôt la route, libre. Et le relais n’est pas pris en main. C'est ce que nous confiait Truckrs dans un précédent article. Les nouveaux arrivants sur le marché du travail priorisent l’équilibre vie personnelle et vie professionnelle. Les horaires doivent être aménagés, les zones couvertes resserrées. Chez les jeunes entrants, malheureusement beaucoup s’éloignent du métier après la formation.

Avant le découcher était intéressant : le fait de voyager rendait le métier passionnant et le salaire était augmenté grâce aux longues distances. Ce n’est plus le cas maintenant. Ce qui participait aux points positifs du métier auparavant constitue son point faible aujourd’hui.

Le découcher est le fait, pour un conducteur routier, de passer une ou plusieurs nuits sur la route et de ne pas rentrer à son domicile pour effectuer ses missions.

Comment Dashdoc se positionne sur la pénurie de conducteurs ?

Dashdoc édite une solution TMS (Transport Management System), un logiciel de gestion de transport à destination des transporteurs et des chargeurs. Par conséquent, il n’est pas en ligne directe avec les conducteurs routiers mais plutôt avec ceux qui ont besoin de leurs services côté exploitation ou côté logistique. 

Comme Dashdoc offre la dématérialisation des documents de transport dans sa palette de fonctionnalités, l’entreprise est très consciente de la nécessité de digitalisation du secteur, du besoin d'accélération de la facturation et sur le gain de temps que cela représente à la fois pour les transporteurs, leurs clients et leurs chauffeurs. 


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Son but n’est pas de trouver une solution définitive à la pénurie de chauffeurs routiers mais de faciliter l’environnement de travail de ceux-ci, au travers de la dématérialisation, de la lettre de voiture électronique, de la rapidité de facturation, de la communication fluidifiée avec toutes les parties prenantes du transport.

Quelles solutions imaginer pour pallier le manque de conducteurs routiers en France ?

Nos interlocuteurs, bien que de différents horizons, sont unanimes : il faut une pluralité de modèles afin de combler les postes vacants, que cela porte sur les contrats de travail ou les méthodes de recrutement.

Pierre-Arnaud de Truckrs, par exemple, affirme que le CDI n’est plus le modèle privilégié par la nouvelle génération.

Il y a 15 ans personne n’était indépendant, aujourd’hui 30 à 35% des conducteurs routiers sont indépendants. La nouvelle génération fait ses choix.

Pierre-Arnaud Destremau, Truckrs

Clément Faure de Truckfly, a quant à lui, mis en avant l’aspect “volatile” de la nouvelle génération et la mince possibilité d’obtenir des experts. Même si le besoin de sécurité reste fort et continue à être une forme de pression en France, ce qui induit que le CDI perdure en France.

Julien Parnis de RAS intérim, souligne la liberté du conducteur car aujourd’hui, il peut réellement choisir entre le CDI ou l’entreprenariat. L’interim peut apparaître comme une bonne solution ou du moins une bonne transition pour découvrir des secteurs ou des métiers en lien avec le TRM. 

Chez nous, en une année, un conducteur peut travailler pour 5, 6, 7 entreprises différentes. C’est un état de fait, il faut proposer une multitude de services pour attirer les candidats.

Julien Parnis, RAS intérim

Législation : quel est le rôle de la France et de l’UE pour contrer cette pénurie de conducteurs ?

Construire un système collectif où la conduite devient la norme

Le gouvernement possède un rôle qu’il faut pleinement assumer pour nos quatre participants car les règlementations doivent soutenir les conducteurs et les transporteurs, non leur rendre la tâche encore plus difficile. En revanche, tous nos participants ne sont pas d’accord sur les méthodes pour y parvenir. 

Pour Martin Arnouil, le gouvernement français a le pouvoir de replacer la conduite et la sécurité au centre du métier et par cela même, de redonner de l’attractivité au poste. L’Union Européenne pourrait mettre en place un système où le chargement et le déchargement des poids lourds seraient redistribués à d’autres potes.

La conduite représente actuellement 30 à 40% de la journée, des statistiques qui peuvent sembler finalement assez basses pour un chauffeur routier. C’est la manutention qui prend beaucoup de temps et qui peut aussi jouer en défaveur du métier. 

Les jeunes, eux, ce qu’ils veulent faire, c’est conduire.

Martin Arnouil, GEIQ

Donner accès à un matériel de qualité

Au contraire, pour Julien Parnis, faire une différenciation aussi nette entre conduite et manutention amplifierait le problème et créerait un “trou” dans la chaîne du transport. Pour lui, le problème découle du matériel mis à disposition. Beaucoup d’innovations ont vu le jour dernièrement, que ce soit avec les camions électriques, avec l’intelligence artificielle pour les entrepôts, les transpalettes électriques etc. 

Mais, la plupart des entreprises doivent faire avec l’existant et n’ont pas forcément le budget pour renouveler sans cesse le matériel. C’est pour cette raison que beaucoup d’outils sont défectueux, cabossés. Ceci implique sur le long terme, une utilisation précautionneuse, plus longue et surtout, moins agréable pour les employés.

Placer le curseur sur l’effort physique

Le fondateur de Truckrs apporte un autre point de vue. Il faudrait revaloriser celui qui fait le plus d’efforts physiques. Aujourd’hui, l’uniformité des salaires entre les chauffeurs routiers est trop grande alors que tous n’ont pas de journée type d’une entreprise ou d’une journée à l’autre. Ils ne fournissent pas les mêmes efforts.

S'ils prennent en compte les conditions de travail, le matériel utilisé mais aussi les différentes missions du poste (manutention et conduite), est-ce suffisant pour que les transporteurs continuent d’attirer des candidats conducteurs ?

Manque de chauffeurs routiers : comment les employeurs peuvent attirer davantage ?

Développer un sentiment d’appartenance

Le bon matériel est une chose mais un autre point est primordial, il s’agit de l’intégration dans l’entreprise.

Le conducteur doit se sentir valorisé et prendre part à la structure, il faut donc qu’il connaisse les enjeux, qu’ils soient financiers ou environnementaux de l’entreprise. Le fonctionnement des services, notamment logistique, avec lequel il est amené à collaborer, et la participation à des événements internes sont aussi des bons moyens d’intégrer pleinement ses conducteurs. Sinon, la solitude dans le camion peut l’emporter. Le but : créer un sentiment d’appartenance.

Après il sera fier de porter son blason.

Martin Arnouil, GEIQ

Tabler sur sur son image de marque et la relation marque/employeur

Comme pour toute entreprise, dans les sociétés de transport, l’image de marque est incontournable. Il faut que les candidats se rendent compte que le métier est aussi très humain, ne pas hésiter à mettre en avant l’employeur, à user de supports de communication internes et externes, notamment avec des photos de l’équipe et de l’employeur selon Truckrs.

Beaucoup de sociétés, comme Rhône Alpes Services, précisent que lors des jobs datings, les candidats doivent être à même de sentir l'ambiance de l'entreprise. C’est à l’entreprise de se vendre… tout en rendant bien compte des contraintes du métier.

Une entreprise qui fait l'effort d'investir dans des outils de travail agréables et vecteurs d'efficacité pour les conducteurs routiers a aussi un pouvoir de démarcation. Par exemple, passer par une application spécialement pensée pour les conducteurs routiers pour la communication du planning et des documents de transports ou proposer l'utilisation d'une lettre de voiture électronique facile à remplir plutôt que des carnets qui prennent de la place et ont plus de chances d'être oubliés.

Ne pas faire l’impasse sur l’objectivité du métier

Martin Arnouil alerte sur un point : il ne faut pas enjoliver la situation. Les candidats pour le poste de chauffeur routier doivent aussi savoir à quelle porte ils frappent.

Toutes les entreprises ne sont pas faites pour tous les candidats et inversement.

Martin Arnouil, GEIQ

Ainsi, mettre en place des événements où la famille est invitée, où le conducteur peut rouler avec le meilleur camion de la flotte et parler avec toute l’équipe, sont certes de bons moyens de communication et de recrutement. Cependant, si le candidat répond positivement et qu’il se voit attribuer un camion en mauvais état ou que le fonctionnement des services ne lui convient pas, cela va provoquer une frustration.

Quelles sont les méthodes de recrutement pour conducteur routier à privilégier ?

Aujourd’hui, il n’existe pas une méthode de recrutement pour pallier au manque de chauffeurs routier en France mais bien une combinaison de méthodes. Selon nos interlocuteurs, il faut passer par :

  • Le marketing physique et digital : campagnes d’affichage dans des lieux stratégiques, campagnes sur les réseaux sociaux ;

  • L’événementiel : le job dating, les portes ouvertes, les salons.

L’engouement est rarement pour le passage à la communication 100% digitale, tel que l’énonce Julien Parnis. Chez RAS intérim, les équipes mettent un point d’honneur à conserver des agences physiques.

🙍🏻‍♀️

Quid de la “féminisation” de la filière ?

Les entreprises en parlent toujours, il faut montrer une autre image du transport pour attirer des candidates et pas seulement des candidats. Moins de 3% des routiers sont des femmes.

Chez GEIQ, l’équilibre est encouragé, un projet spécial se développe autour de cette thématique, 200 personnes ont été formées grâce à ce projet.

Rappelons aussi que la grande tendance du moment est de mutualiser les forces pour le recrutement : faire appel à des agences, des consultants, collaborer entre diverses sociétés. Cela permet d’échanger des bonnes pratiques et d’accélérer les prises de rendez-vous avec les candidats.

Finalement, la pénurie est réelle sur le terrain des chauffeurs routiers. Le CDI n’est plus le seul modèle envisageable compte tenu des critères revendiqués par les jeunes arrivants sur le marché du travail. Tous les outils restent bons pour se former : en interne, via My Business Academy, via des associations comme la FEDE ou Pôle Emploi. L’humain reste toujours central dans cette chasse aux “bons” candidats, ce qui passe à la fois par une revalorisation du métier de conducteur mais aussi par un souci réel des contraintes dans lesquelles il évolue.

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